Réparation du dommage corporel
Les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010
Le 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation, a sensiblement modifié le régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur.
Dans le dernier considérant de sa décision du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale (CSS), limitant les postes de préjudices indemnisables des victimes d’accidents du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur, portaient « une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs ». Auparavant, le salarié victime d’une faute inexcusable de son employeur pouvait seulement solliciter devant la juridiction de la sécurité sociale, outre la majoration de sa rente conformément à l’article L.452-2 du CSS, « la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par [lui] endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle » (article L. 452-3).
Rejoindre le droit commun
Le caractère limitatif de ces préjudices, tel que reconnu par la Cour de cassation, faisait ainsi obstacle à ce que la victime d’une faute inexcusable de l’employeur puisse obtenir la réparation intégrale de ses préjudices, conformément au droit commun. Seuls les salariés victimes d’une faute intentionnelle de leur employeur pouvant prétendre à une telle réparation (article L. 452-5 du CSS). C’est à cette disparité que le Conseil constitutionnel a voulu mettre fin.
Si sa décision aura nécessairement des répercussions économiques et financières importantes, il ne faut toutefois pas oublier que les juridictions avaient d’ores et déjà tenté de pallier le caractère limitatif des postes de préjudices indemnisables en retenant une interprétation extensive de certains d’entre eux. C’est ainsi que la Cour de cassation est récemment [1] revenue à une définition large du préjudice d’agrément, en considérant qu’« au sens de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, le préjudice d’agrément est celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions de l’existence », se mettant par là même en porte-à-faux avec sa jurisprudence retenue en matière de droit commun.
Reconnaissance des besoins de la vie courante
Rappelons également que les sommes allouées en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales des salariés ayant été exposés au risque amiante sont, lorsque la faute inexcusable de leur employeur a été reconnue, généralement bien supérieures à celles qu’ils obtiendraient en application des règles du droit commun. Ainsi, bien que l’évaluation des préjudices semble aujourd’hui revue à la baisse, certaines juridictions ont pu aller jusqu’à accorder la somme de 16 000€ au titre du pretium doloris et 5 000€ au titre du préjudice moral à des salariés qui s’étaient vu attribuer un taux d’incapacité permanente partielle de 5% par leur caisse primaire d’assurance maladie, et cela en l’absence de toute expertise médico-légale. L’avenir dira donc si les victimes de l’amiante estimeront opportun de solliciter l’application de cette décision du Conseil constitutionnel.
Malgré cela, il ne fait aucun doute que l’indemnisation à laquelle pourront désormais prétendre les salariés victimes de la faute inexcusable de leur employeur sera supérieure à celle qu’ils obtenaient en application de l’article L.452-3 du CSS, notamment en cas d’accident du travail.
En effet, ces victimes pourront désormais demander à ce que soient indemnisés des postes de préjudice pouvant représenter des sommes non négligeables, tels que l’aménagement de leur logement et de leur moyen de locomotion, les frais médicaux non pris en charge ou l’assistance d’une tierce personne. Jusqu’alors, cette dernière était indemnisée au travers d’une majoration de la rente uniquement lorsque l’incapacité permanente était au moins égale à 80% et que cette assistance était nécessaire pour accomplir l’ensemble des actes de la vie courante, et non simplement certains, quand bien même ceux-ci seraient essentiels.
Application immédiate
Désormais, et indépendamment du taux de la rente retenu, il apparaît que toute victime d’une faute inexcusable de l’employeur pourra prétendre à l’indemnisation, le cas échéant viagère, de ce besoin apprécié en nombre d’heures par jour. Sur la base d’un taux horaire moyen de 18€, les sommes allouées à ce titre peuvent vite être conséquentes.
Les assureurs du risque « faute inexcusable » doivent donc être particulièrement attentifs à ces évolutions, afin, soit de renégocier leur police d’assurance avec leurs assurés, soit de constituer des provisions supplémentaires. Et cela d’autant plus que la décision du Conseil constitutionnel étant applicable à toutes les affaires en cours, non définitivement jugées, les juridictions ont d’ores et déjà commencé, à la demande des salariés, à ordonner des missions d’expertise incluant l’intégralité des postes de préjudices de la nomenclature « Dintilhac » (lire l’encadré ci-contre). Des compléments d’expertise (alors même qu’un premier rapport a été déposé) sont par ailleurs demandés et accordés par les juges du fond.
Notons que les missions d’expertise qui n’étaient pas systématiquement ordonnées pour la liquidation des préjudices résultant d’une faute inexcusable de l’employeur devraient désormais se généraliser par l’application de la nomenclature « Dintilhac » [2].
Deux questions restent à trancher
Cette décision laisse toutefois en suspens plusieurs questions pratiques que le législateur ou les juridictions devront trancher.
Ainsi, et tout d’abord, la question se pose de savoir si la caisse primaire d’assurance maladie continuera à verser directement la réparation de l’intégralité de ces préjudices au salarié avant d’en récupérer le montant auprès de l’employeur, ce qui n’est pas le cas en droit commun de la réparation des préjudices corporels. Le commentaire de la décision du Conseil [3] semble indiquer le contraire, dès lors qu’il est précisé que « la décision du Conseil n’impose pas que soit étendu à l’ensemble des préjudices le dispositif prévu par le dernier alinéa de l’article L. 452-3 selon lequel la réparation est versée directement par la caisse, qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».
Cette question devra donc être tranchée. Et cela d’autant qu’elle conditionnera très certainement le point de savoir si la caisse primaire d’assurance maladie conservera à sa charge, comme elle le faisait avec les préjudices personnels visés à l’article L. 452-3 du CSS, l’intégralité des préjudices alloués au salarié victime lorsque la décision aux termes de laquelle elle a reconnu le caractère professionnel de la maladie du salarié est déclarée inopposable à l’employeur.
Par ailleurs, les nouveaux débats qui ne manqueront pas de se poser, tant devant les juridictions du fond que devant la Cour de cassation, seront l’occasion, pour cette dernière, de confirmer ou, au contraire, de revenir sur ses récentes décisions relatives à la nature de la rente accident du travail. Décisions amplement commentées : rappelons simplement que, depuis 2009, la Cour de cassation considère que la rente accident du travail a vocation à indemniser non seulement les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, mais également le déficit fonctionnel (voir, notamment, le premier d’une longue série d’arrêts : Cass. 2e civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-16.089)
1. Voir, par exemple, Cass. 2e civ., 9 juillet 2009, pourvois n° 08-11.804 et 08-12.113.
2. Lire « Les enjeux de l’adoption d’une nomenclature obligatoire en matière de réparation du dommage corporel », l’Argus de l’assurance du 25 juin 2010, n° 7175.
3. Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, Commentaire de la décision n° 2010-8 QPC – 18 juin 2010.